1. Aldudes : l’éveil de la vallée 1. Aldudes : l’éveil de la vallée
Après deux cents ans d’hémorragie démographique, trois communes basques revivent grâce à la renommée du porc Kintoa et à la ténacité des éleveurs locaux.
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C’est un coin de France que l’on croirait perdu. Une vallée pyrénéenne perchée dans les hauteurs de Saint-Jean-Pied-de-Port, à un vol de palombe du col de Roncevaux. Les Aldudes dessinent une enclave sur le territoire espagnol, comme un affront lancé à la frontière nationale. Nous sommes ici en terre basque, dans l’ancien pays Quint, vestige du royaume de Navarre. Pays d’indépendance à la culture enracinée et au passé de contrebande.
Les trois communes qui s’y nichent – Banca, Aldudes et Urepel – abritent près de neuf cents habitants bien décidés à développer l’économie locale. « Il y a trente ans, aucun camion ne montait jusqu’ici », se souvient un agriculteur. Routes trop étroites, peu d’intérêt pour « ceux d’en bas »… Aujourd’hui, les chauffeurs empruntent sans soucis les larges voies qui relient la vallée au reste du monde. Et les touristes viennent en masse découvrir l’agriculture de montagne et rencontrer la star locale : le porc basque Kintoa, vieille race reconnaissable à ses extrémités noires et aux longues oreilles lui tombant sur les yeux.
37 000 jambons
L’éveil de la vallée est lié au retour au pays du porc basque, à la fin des années quatre-vingt. Il était pourtant considéré comme perdu. L’Institut technique du porc ne recensait à cette époque que 25 truies et 5 verrats en France. La race ne doit sa survie qu’à une poignée d’éleveurs déterminés à créer une nouvelle filière. Leur travail a payé : en août 2016, le « Kintoa » et le « Jambon du Kintoa » ont été reconnus comme les 100e et 101e AOP agroalimentaires françaises. Ils sont aujourd’hui 80 à élever 3 000 cochons par an, sur les 120 exploitations de la vallée. La perspective de développement est encore grande : ils visent à doubler la production. Projets d’installation bienvenus !
Pour parvenir à ce résultat, les paysans ont vite compris la nécessité de jouer collectif pour structurer intelligemment la filière. A leur tête, Pierre Oteiza, boucher de formation et lui-même éleveur (lire l’encadré), a pris son bâton de pèlerin pour inciter les artisans de la région à se joindre à l’aventure. Quatre l’ont suivi. Ensemble, ils ont bâti en 2000 le séchoir collectif de jambons qui s’élève aujourd’hui à Aldudes. « En cultivant ce qui nous rapproche et en travaillant sur ce qui nous sépare, on peut faire naître de grands projets », peut-on lire dans l’entrée du bâtiment de 2 500 m2. A l’intérieur, 37 000 pièces suspendues en chambre froide ou alignées en de longues rangées sèchent en attendant d’être dégustées (jambons « Kintoa », « de Bayonne » et « de la vallée des Aldudes »).
Pierre Oteiza a aussi poussé ses collègues paysans à développer leur propre outil de transformation. En 2010, ils ont créé la coopérative Belaun – qui signifie « génération future » en basque – et inauguré leur atelier de découpe. « Il est adapté à la production fermière des paysans d’ici », se félicite Jean-Marie Oçafrain, président de la coopérative. Son coût : 730 000 euros, financés à 40 % par des subventions européennes, de la région et du département. Une dizaine de cochons y passent chaque semaine, deux à trois veaux et jusqu’à cent vingt agneaux, selon la saison. Tout est vendu en direct, dans la boutique attenante, sur les marchés ou à la ferme.
Son succès fait des émules : profitant du dynamisme local, une centaine d’éleveurs de brebis et de vaches ont ouvert une fromagerie à Aldudes en janvier 2014, juste de l’autre côté de la route. L’enthousiasme est là mais les débuts de la jeune Coopérative laitière du Pays basque (CLPB) sont difficiles. L’outil a coûté cher (1,2 million d’euros d’investissement), la main-d’œuvre est nombreuse (25 salariés) et le produit fragile : « Nous avons voulu partir sur une production originale de pâte molle lactique, pour ne pas nous contenter de pâte pressée et avoir une meilleure valorisation », explique un coopérateur. En 2016, un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros a été dégagé. Il en faudrait 6 millions pour atteindre l’équilibre. Un objectif fixé pour fin 2017, si les adhérents tiennent le coup jusque-là.
10 000 visiteurs
Ils peuvent compter sur le soutien des habitants de la vallée. Plus d’une centaine d’emplois sont directement liés à l’économie agricole. Autant de points d’ancrage pour les familles qui se mobilisent pour communiquer dessus. Ainsi, tous les deux ans, la vallée des Aldudes organise ses journées portes ouvertes. Près de 10 000 visiteurs viennent à chaque édition visiter, durant trois jours d’octobre, les locaux des coopératives et profiter de concerts, conférences, expositions ou parties de pelote… Les animaux descendus pendant la nuit de leur montagne offrent un spectacle incomparable sur les places. On y chante, on y mange, on y boit. On y cogite aussi. Car il reste un défi de taille pour les acteurs locaux : rendre pérenne cette dynamique tout au long de l’année.
Pour répondre à cet impératif, les habitants mènent ensemble des réflexions sur les maisons vacantes, l’intégration des nouveaux arrivants, les transports en commun… « L’agriculture est la colonne vertébrale de notre vallée, mais tout est lié », assure Michel Oçafrain, président de la filière porc basque et maire de Banca. Ce dernier a par exemple tenu à exploiter l’histoire minière de sa commune en y dédiant un musée, au sous-sol du café associatif du village. Mieux : il projette d’installer dans les anciens dortoirs de la fonderie des logements « transgénérationnels », mêlant des appartements pour jeunes et personnes âgées.
« C’est l’activité qui attire les gens mais la rénovation des logements peut y contribuer », note une mère de famille. Il faut dire que la maison d’habitation est chose sérieuse au Pays basque, comme le chantait le « berger poète » Xalbador, enfant d’Urepel : « Endroit du monde le plus cher à mon cœur, c’est à toi que je dois ce que je suis : et mon être et mon nom ! » Dans les Aldudes, tout commence par du cochon et tout finit en chanson.
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